Le château de La Tour-d'Aigues : une bastille provençale qui s'ignore ?

En cette veille de 14 juillet, la préparation de la fête nationale devant le château de La Tour-d’Aigues est une excellente occasion de se remémorer que les vestiges devant lesquels nous passons chaque jour témoignent d’un épisode marquant de la Révolution française en Provence.
Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au nom du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération. À ces grands élans collectifs, il faut toujours faire leur part. Ils comptent dans la vie des peuples.
— Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940
Un symbole de chute de la monarchie et de revanche sur la féodalité ?
Le 14 juillet 1789 : prise de la Bastille, symbole de la fin de la monarchie absolue. Le 14 juillet 1790 : la fête de la Fédération (fête de la réconciliation et de l’Unité). Ce sont ces symboles de la Révolution française que la IIIème République a choisi pour célébrer notre fête nationale.
À La Tour-d’Aigues, le château, tel que nous en connaissons les vestiges aujourd'hui, résulte tant d’un incendie accidentel en 1780, mais surtout de sa mise à sac pendant cinq jours consécutifs au cœur de la tourmente révolutionnaire, à compter du 14 septembre 1792. De ces ruines fumantes, une carrière en libre-service, abandonnée, subsista pendant plusieurs décennies, jusqu'à ce que le département de Vaucluse en fasse l’acquisition au siècle suivant.
Alors que la Bastille a bel et bien disparu, le château des Bruny, lui, subsiste pour laisser l’histoire nous sauter aux yeux chaque jour.
Surtout mis en valeur, à juste titre, pour ses qualités architecturales et l’exemple original d’un château Renaissance au cœur de la Provence, le château de La Tour d’Aigues n’en demeure pas moins le témoignage d’un épisode révolutionnaire spectaculaire, puisqu’à la chute de la monarchie, il chassa d’un coup d’un seul une féodalité honnie par les villageois.
Alors, le château de La Tour-d’Aigues : une bastille provençale qui s’ignore ?
La prise du château par les révolutionnaires
Hélène Lezaud, professeur agrégée d’histoire, nous raconte l’évènement ainsi : Le 14 Septembre 1792, un groupe de « révolutionnaires » s’attaque à l’édifice : le dernier baron, Jean-Baptiste-Jérôme de Bruny, est absent mais son château est pillé et le feu s’en empare : il brûle pendant cinq jours dit-on... Il faut, bien sûr, situer cet évènement dans le contexte d’ébullition que connaît la France à l’automne 1792, quelques semaines après la chute de Tuileries et de la royauté, mais aussi tenir compte des multiples rancunes accumulées par les villageois à l’encontre de leurs derniers seigneurs. Au cours du siècle, en effet, les différents et les multiples procès qui ont opposé les deux partis témoignent d’un climat d’hostilité de plus en plus vif.
Nous n’en savons pas beaucoup plus sur les faits, les auteurs et leurs motivations, mais il est certain que l’épisode révolutionnaire trouve ses racines tant dans la grande que dans la petite histoire.
Avec 19 procès en cours, un seigneur honni qui faisait prêter allégeance… à genoux !
Le 14 juillet 1789, lorsque la grande Révolution éclate, le château de La Tour-d’Aigues est la propriété depuis trois générations de la riche famille des Bruny, marchands marseillais anoblis et jaloux de leurs nouveaux privilèges. Ces derniers entretiennent d’exécrables relations avec les villageois : pas moins de 19 procès les opposent aux Tourains ; sur l’eau, les droits de passage, la chasse, les fours et moulins, l’usage de la chapelle Saint-Christophe, tout y passe, un véritable imbroglio dans lequel le seigneur est à la fois juge et partie !
Les cahiers de doléances de 1789 à La Tour-d’Aigues, que l’on peut consulter librement sur Internet, témoignent de manière éloquente du ressentiment que nourrissent les habitants à l’égard de leur seigneur. Si le dernier baron de Bruny peut se montrer brillant lorsqu'il s’agit d’animer la splendeur du château Renaissance, aménager un parc en bord de l’Èze digne des plus grands jardins aristocratiques, faire des faïences ou accueillir d’illustres visiteurs, il peut se montrer autoritaire et imbu de son pouvoir :
« La communauté de la Tour d'Aigués a fait une triste expérience de tout ce que l'anarchie féodale, l’organisation de nos tribunaux, et les préjugés en faveur de la noblesse ont de plus fâcheux ».
En tête des doléances, l’abolition des privilèges, bien sûr, mais aussi la participation de tous et la progressivité de l’impôt (article 2), l’institution d’une représentation nationale face au pouvoir royal (article 3), la faculté de participer à l’élaboration des lois et à la fixation de l’impôt (article 4), mais aussi la suppression de l’hommage que les Tourains devaient rendre au seigneur… à genoux ! « cette cérémonie, humiliante pour les hommes, enflent trop d’orgueil ceux qui la reçoivent sans en être eux-mêmes humiliés. » (article 10). Voilà qui en dit long sur les relations vexatoires subies par les villageois lorsque survient la Révolution (https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1879_num_6_1_2603).
Une petite histoire qui s’inscrit dans la grande
Il s’avère peu évident de déterminer les causes précises de la mise à sac du château par les révolutionnaires, les facteurs locaux recoupant très probablement ceux de la grande Histoire.
Déjà impacté par un incendie accidentel en 1780, le Château de La Tour-d’Aigues paiera le prix fort de l’autoritarisme seigneurial, non pas le 14 juillet 1789, date à laquelle le peuple de Paris prend la Bastille, mais le 14 septembre 1792, dans la foulée de la chute de la monarchie constitutionnelle, quelques jours avant la victoire de Valmy sur les troupes réactionnaires et le vote à l’unanimité, le 21 septembre 1792, de la première République Française.
Quatorze juillet. Se remémorer ces grands élans collectifs chers à Marc Bloch. Sur cette place du château de La Tour-d’Aigues que la République a rebaptisé place Jean Jaurès, le traditionnel embrasement du château pour la fête nationale du 14 juillet prend immanquablement des airs de Bastille provençale !
